Cette œuvre est une fiction.
Anachronisme :
« Action de placer un fait, un usage, un personnage, etc. dans une époque autre que l’époque à laquelle ils appartiennent ou conviennent réellement ; fait, usage, personnage ainsi placés. »
Source : CNRTL – Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales
27 avril 2028, Paris, palais des congrès.
Il était dix heures, c’était l’anniversaire des cent-soixante-dix ans de l’abolition de l’esclavage en France, de nombreux personnages étaient présents : Monsieur le Président de la République Frédéric Marchand, le Premier ministre Eric Bertrand, le ministre de la Culture Jean-Yves Poilot et le représentant de l’association des anciens esclaves de France, Boubakar M’Bomba. Les préparatifs avaient été laborieux, le propriétaire de la salle, un raciste notoire avait dans un premier temps refusé de les recevoir. Avec la pression du gouvernement qui ne pouvait pas courber l’échine devant lui, il avait finalement accepté d’ouvrir ses portes à cette cérémonie.
Il était quinze heures, Monsieur M’Bomba se présenta face à la salle pleine. Il prit la parole.
<< Lorsque les Blancs sont venus en Afrique, nous avions les terres et ils avaient la Bible. Ils nous ont appris à prier les yeux fermés : lorsque nous les avons ouverts, les Blancs avaient la terre et nous la Bible. Jomo Kenyatta a prononcé ces mots.
Cet homme, mort il y a cinquante ans maintenant, avait parfaitement expliqué, en quelques mots la situation : La colonisation subie par les peuples Africains, les Européens s’appropriant nos terres, dessinant nos frontières sur une carte avec une règle, sans tenir compte des pays préexistants, dans une salle à Berlin, par des hommes n’ayant jamais mis les pieds sur le sol de nos ancêtres. C’était en 1886 donc bien des années après leur soi-disant abolition. Ces blancs, dont la seule motivation était l’appât du gain, pensaient alors que leur « race » était la meilleure, l’élite de l’humanité, preuve en était leurs empires et qu’ils se devaient de nous civiliser. Au lieu de cela, ils nous ont colonisés, divisés pour mieux nous asservir. Cela faisait déjà des siècles que nous étions leur marchandise, des humains transformés en cheptel, expédiés dans leurs « anti-iles ». Après leur « révolution » nous avons eu droit à un bref répit, avant que leur empereur, leur idole, leur icône, n’ait l’idée géniale de nous remettre la chaîne au pied. Quelques frères, tels que Toussaint Louverture ne se sont pas laissé faire et ont donné à notre histoire la première Nation noire indépendante reconnue par la civilisation blanche : Haïti. Après cela, il y eut leur « République », où tous devaient être égaux. Cependant, ils avaient leur « ministère des colonies », nous faisions partie d’eux, mais pas vraiment, nous étions « moins égaux qu’eux ». En 1914 et en 1940 La France s’est servie de nous, avec le nom pimpant de « soldats coloniaux », nous mettant en avant pour les combats, et de côté pour les honneurs, il suffit de voir pour cela les photographies sur les journaux de l’époque pour comprendre la tromperie générale qu’ont été ces deux conflits ; les uns récoltant la gloire, pendant que les autres pansaient leurs plaies. Après la Seconde guerre mondiale, le pays de Voltaire avait pris un sacré coup de pompe, et sa belle aura s’était envolée. L’Indochine d’abord, suivie de près par le Maghreb puis l’Afrique Noire. Nous nous sommes détachés du joug français. Bien sûr, me direz-vous ! Tout ceci n’est que de l’histoire ancienne, Jacques Chirac, à la fin du vingtième siècle, a reconnu tous les méfaits commis par son pays lors des siècles passés, autant envers nous qu’envers d’autres « races ». Ce n’est pas comme s’ils pillaient encore nos ressources en laissant des miettes aux peuples, tout en arrosant les généraux dictateurs gouvernant nos pays. Je ne suis pas de ceux qui courbent l’échine face à la vague occidentale. Bien entendu, l’esclavage n’existe plus et il faut le reconnaître, les mentalités ont évolué. Cependant de nombreuses inégalités existent encore et il faudra les combattre. >>
Monsieur M’Bomba arrêta là son discours et descendit les quelques marches qui le séparaient de sa chaise, au côté d’hommes politiques Français et Africains, ses paroles n’avaient pas plu, mais qu’importait, à ses yeux tout avait été dit.
1er mars 2879, Paris.
Une conférence sur le temps dit « du travail moderne » était organisée. Pour bien comprendre l’état d’esprit des hommes de ce temps-là, je vais vous raconter leur histoire en quelques dizaines de lignes.
Dans ce monde l’humain était roi. Il était servi sans cesse par des machines. Le temps du travail moderne était terminé et depuis longtemps ; le dernier homme à avoir été l’employé d’un autre était mort en 2350. Toutes les maladies étaient guéries, les gens ne mouraient plus, une molécule permettant la régénération des cellules les avait rendus immortels. De ce fait, ils n’avaient pas le droit de se reproduire comme bon leur semblait, les grossesses étaient gérées par l’Etat qui décidait qui pouvait ou ne pouvait pas avoir d’enfant, selon les morts accidentelles survenues , quelques milliers par an. Cela permettait à l’humanité garder une population fixe de huit milliards d’individus. Pour en arriver là, l’homme était passé par bien des épreuves.
En 2088, il y eut une crise que l’on appelait « La crise de la matière primordiale ». Les hommes avaient tellement pillé la planète les cent cinquante années précédentes que les sous-sols étaient vides, plus aucune réserve : pétrole, fer, charbon… Même la terre, fatiguée de cent ans de surexploitation était devenue stérile. Plutôt que de tomber dans le cliché du scénario « post-apocalyptique », l’homme avait surmonté cela et avait créé la première machine dite des temps modernes : la « CREATIONNE ». Celle-ci consistait à créer une matière première à partir de rien, même pas besoin d’énergie, elle réglait ainsi les problèmes de réserves. L’homme, dont la sagesse n’est plus à démontrer avait su, une fois encore se montrer à la hauteur de cette invention, cinquante ans plus tard, la planète entière était recouverte de détritus en tous genres, les bateaux ne pouvaient même plus circuler, tant il y avait de tonnes de plastique et autres déchets dans les océans, si bien que la planète bleue n’était plus ; marron aurait alors été une couleur plus appropriée pour la décrire vue de l’espace. Cela ne fut pas un problème très longtemps, des machines furent créées pour déplacer ces ordures. Dix ans de recherches avaient suffi pour que des scientifiques inventent un vaisseau spatial pouvant se rendre dans la ceinture de Kuiper en quelques semaines seulement afin d’y déverser toutes les poubelles accumulées sur la planète. Les ressources étant illimitées et l’évacuation n’étant plus un problème pour l’humanité, la consommation reprit. Celle-ci avait eu un effet sur l’atmosphère, qui devenait de plus en plus dense, la température montait, les pôles fondaient, les continents étaient peu à peu grignotés par les eaux, des tsunamis géants déferlaient sur les côtes ; cette période vit la mortalité grimper en flèche. Comme quelques années auparavant, les hommes ne s’étaient pas laissé abattre par un si petit détail et créèrent une machine servant à refroidir l’atmosphère. Cet appareil n’uniformisait pas la température sur l’ensemble du globe, cela aurait créé plus de problèmes que de solutions (tsunamis, vents violents…). La terre avait retrouvé le climat que l’on pouvait y trouver au début du vingtième siècle. Après tous ces événements ayant regroupé les travaux de chercheurs de toutes les nationalités et les effets terribles de toutes ces épreuves (qui avaient fait disparaitre une grande partie de la population) avaient uni l’humanité, toutes les haines qui divisaient auparavant les hommes n’existaient plus. Il ne restait que quelques centaines de millions d’humains quand un Etat unique, ayant pour capitale Paris, fut créé en 2280. C’est en 2300 qu’avaient été créés les premiers robots humanoïdes destinés à seconder l’homme. Valant très cher à leur sortie, les prix descendirent très rapidement en 2310, lorsque le maître-monde Arolde Matieu (l’homme élu pour une durée de dix ans pour gouverner l’Etat unique), décida de lancer une immense aide à l’achat d’un de ces robots. Vingt ans plus tard, tout le monde avait un serviteur à ses côtés. En 2350 Thierry Polroy, le dernier homme employé par un autre décéda, le seul humain désormais que l’on pouvait considérer au travail était le maitre-monde, la seule place que l’on ne voulait pas donner à un robot. Bien entendu, des titres comme historien ou écrivain existaient toujours, mais ces hommes et ces femmes faisaient cela par loisir et non par devoir. L’humanité vivait donc sans travailler, l’argent avait disparu, toutes les tâches qui existaient auparavant étaient assumées par des robots. Ceux-ci, bien plus intelligents que leurs homologues humains avaient aussi été mis au travail sur la recherche médicale. Les avancées avaient alors été spectaculaires, si bien que l’humanité en 2400 avait éradiqué toutes les maladies, les gens ne mouraient plus que par accident ou encore de vieillesse. Les gens ne mangeaient plus de viande, des substituts avaient été inventés, les végétaux ne poussaient plus dans la terre, d’énormes silos souterrains gérés par plusieurs « créationnes » étaient prévus à cet effet . La population humaine augmenta très rapidement, en à peine cent ans, elle avait été multipliée par vingt. Le maitre-monde décida de mettre en place un système de régulation des naissances, il y avait huit milliards d’humains sur terre et cela devait rester ainsi. Un système informatique comptant le nombre de décès proposait un certain nombre de naissances, il fallait s’inscrire sur une liste d’attente pour concevoir un enfant, les contrôles étaient si nombreux et fiables que la tromperie n’était pas possible. En 2600, une des plus grandes avancées de l’humanité fut faite. Depuis toujours, l’homme rêve de devenir immortel, cela était désormais chose faite, les robots inventeurs venaient de découvrir la formule magique, celle qui permettait la régénération des cellules ad vitam æternam. Le système de gestion des naissances était devenu performant et avait même été amélioré : Les femmes étaient toutes provisoirement stérilisées, elles n’étaient autorisées à enfanter que dans de très rares cas, les décès n’étant plus qu’accidentels. L’homme était devenu beaucoup plus sage que ses ancêtres, qu’il méprisait au plus haut point, principalement ceux vivant entre 1950 et 2300 et qui avaient failli faire disparaître l’humanité tout entière. Le système de vie était cependant très plaisant, on pourrait le comparer à un paradis, grâce à la « créationne » tout était illimité, les déchets extrêmement nombreux étaient éjectés par des équipes de robots cosmonautes qui ne faisaient que des allers-retours vers la ceinture de Kuiper. Tous les humains dès leur naissance avaient une dizaine de robots qui étaient mis à leur service, les cellules régénératrices permettaient de garder le physique d’une personne de trente ans. C’est dans ce contexte là qu’une conférence sur l’époque dite « du travail moderne » (1950 / 2350) fut organisée.
Il y avait trois personnages principaux, les invités de cette cérémonie : Le maitre-monde Roma Ferrere, Piaire Leroy le doyen de l’humanité, âgé de trois-cent-trente-deux ans et le plus grand historien de cette époque Maraé Foccus, qui devait faire discours. Plus de dix mille personnes étaient venues assister à cette conférence.
Maraé Focus se tenait debout derrière son estrade, il prit la parole :
<< Mes amis ! Nous sommes aujourd’hui réunis pour parler d’une époque terrible. Elle rime avec privation des libertés, maladies, morts, ressources humaines… Ressources Humaines, ce terme est horrible, comme si l’homme n’était qu’une matière première, un vulgaire petit morceau de ferraille sorti de la « créationne ». Des mouvements de foule étaient sans cesse créés pour améliorer le quotidien des plus défavorisés, comme si tous les hommes n’avaient pas le droit au même traitement. Je ne vais pas avoir l’audace de vous présenter les films, les photos et toutes les autres archives que nous avons sur cette époque, vous les avez bien assez vus lors de vos visites dans les musées montrant des humains à la tâche, qu’aujourd’hui nous ne donnerions pas à faire à une vache, ces tâches qui sont désormais réservées à des robots. Ces hommes, qui se disaient « civilisés » torturaient et tuaient des animaux pour se nourrir, se divertir, se soigner ou que sais-je encore ! Comme s’il n’y avait pas d’autres solutions, se servant même de la graisse de certains bovidés pour se laver ; et en plus ils se croyaient propres ! Ils mettaient dans des cages des tigres, des girafes ou des singes pour les présenter au public, juste derrière les barreaux ou encore en leur faisant faire des pirouettes… Bref, des horreurs, qu’elles soient pour les humains ou les autres animaux, excepté bien entendu pour l’élite, jouissant d’un statut tout particulier. On les appelait les nobles, les bourgeois, les patrons, les docteurs, les professeurs, etc. Les hommes de ces époques ont consommé de manière démesurée avant de créer des évacuations permettant de s’en débarrasser , fabriquant des murs d’ordures qui remplissaient les océans, les champs, les vallées… créant presque des montagnes de poubelles, car celles-ci étaient souvent recouvertes de terre pour cacher la misère. Plusieurs fois durant cette ère, des famines eurent lieu, à cette époque, c’est dur à croire, mais les végétaux dont les hommes se servaient pour se nourrir, associés à de la viande bien sûr, poussaient encore dans la terre. Elle avait tellement été sollicitée que le mécanisme ne fonctionnait plus, ce mécanisme on ne le connait pas très bien, mais le fait est que plus rien ne poussait. Il fallut que l’humanité soit à la limite de l’extinction pour qu’elle se prenne enfin en main et aille dans le bon sens, et nous emmener là où nous sommes aujourd’hui. >>
Maraé Focus venait de terminer son discours. Il redescendit les marches qui le menaient à sa chaise, les applaudissements ne cessaient pas. Toutes les personnes présentes avaient le même sentiment que lui sur cette période, une haine sans nom, peut-être leur manquait-il quelques éléments pour pouvoir juger correctement cette période qu’ils estimaient mauvaise, sans y avoir vécu.
Fin.
Parfois, les hommes parlent des ères passées, mais en réfléchissant comme des êtres de leur époque, avec leurs coutumes, leurs habitudes et leur façon de voir le monde. Cela crée des biais qui font que le jugement sur les informations est faussé, celles-ci donnent nécessairement des images tronquées et déforment l’histoire. Juger une mentalité, quand celle-ci a deux cents ans voire plus est un exercice périlleux. Sans pardonner les horreurs qui peuvent avoir été faites dans le passé proche ou lointain, ou même encore de nos jours, il faut se rappeler que les éducations de chaque générations sont différentes, et il est très difficile d’être impartial tant certaines pratiques nous semblent cruelles, illogiques ou dérisoires, sans nous rendre compte de nos erreurs, car elles n’en sont pas pour nous, et c’est souvent à cause de cela, de ces biais que naissent les idées anachroniques.
C’est un très beau récit. Je trouve le parallèle bien trouvé. Je partage.
Dès le début on est transféré dans un monde imaginaire du futur que par définition nous ne contrôlons pas. L’auteur dresse un tableau plutôt optimiste grâce à l’intelligence humaine même si l’histoire nous apprend qu’il peux être aussi capable du pire…
J’attends les prochaines nouvelles avec intérêt.
Analyse et projection pertinentes sur l’avenir du monde dans lequel nous vivons. Même si cette projection est aléatoire dans la mesure où tout peut s’arrêter sur notre planète du jour au lendemain… Avec un message écologique caractérisé qui rappelle cet adage bien connu si cher à Albert Jacquard : « les utopies d’aujourd’hui seront les réalités de demain… ». Exemple, parmi tant d’autres, évoqué dans cette parution : à l’époque, les anti-esclavagistes passaient pour de doux-dingues-rêveurs voulant abolir une pratique qui ruinerait toute une économie. Et pourtant… En effet, félicitation, ce premier essai est prometteur…
Intéressant, c’est une belle projection dans le temps!
Est ce une simple nouvelle ou/et ta conception du futur et ,donc, du passé!?
Bonjour Yvan,
C’est une projection, une société qui pourrait exister. J’ai volontairement laissé des zones d’ombre.
Merci pour le comm.
Peter.
Yvan,
Le but était aussi de montrer que d’analyser une époque passée est très complexe. Juger des combats de gladiateurs avec le regard d’un homme du XXIeme siècle est un exercice difficile. Qu’en penses-tu ?
Très bien écrit, j’aime beaucoup la portée phylosophique que tu apportes à ce texte.
Continues comme ça, tes ecrits sont prometteurs!
Belle histoire.