épisode pilote 3/3

Dans l’épisode précédent nous avons été au cœur de l’enquête menée sur l’assassinat de l’Empereur. On sait désormais que le commissaire Lefatte était à la tête de ce complot. Bien qu’il fût le policier le plus décoré de l’Empire, il faisait partie de la résistance depuis longtemps. Dès sa plus tendre enfance il haïssait cet Empire, son fonctionnement, ses usages ridicules qui n’avaient qu’un seul but : mettre sur un piédestal un empereur, bien souvent tyrannique, enfermant pour quelque raison que ce soit des hommes et des femmes à vie. Le gouvernement mettait en avant l’absence de la peine de mort pour donner un côté juste et humain à ce régime qui était sans nul doute, un des plus durs de l’histoire.

Histoire :

Philopé fut emmené par le divisionnaire dans un bureau non loin du sien :

« Inspecteur Tarmis, j’ai une nouvelle à vous annoncer.

Eh bien je vous écoute !

Il se trouve que Méric Lefatte est un traitre !

Pardonnez-moi ? Un traitre Méric Lefatte ! Le commissaire Lefatte ?

Lui-même. Il a un frère jumeau. D’ailleurs, la personne avec qui vous êtes depuis que l’Empereur a été abattu, c’est lui.

C’est une plaisanterie, le commissaire ne peut…

Monsieur, reprit le divisionnaire, ça ne m’amuse pas non plus et je tombe aussi de haut, je connais Méric depuis plus de quinze ans et jamais au grand jamais je n’aurais pensé ça de lui, mais les faits sont là ! Suivez-moi. Voici le dossier d’enquête. »

Philopé n’en croyait pas ses oreilles, il suivait le divisionnaire, tout en feuilletant le dossier qui lui avait été remis sans vraiment y croire. Il passa devant la salle réservée aux identifications, de l’extérieur on pouvait voir qui était à l’intérieur, mais l’inverse était impossible. Dans cette pièce, assis sur une chaise en bois, le commissaire, il avait le visage défait et un bandage à la jambe gauche qui était plein de sang. Le divisionnaire emmena par la suite le jeune policier vers une pièce voisine où le frère jumeau du commissaire se trouvait ; il était interrogé par Piarre. Philopé n’en revenait pas, lui qui quelques secondes auparavant pensait à une blague de mauvais goût, une sorte de bizutage. Il prit la parole :

« Est-ce que je peux parler au commissaire ?

Oui, si vous y tenez. Que voulez-vous savoir, demanda le divisionnaire.

Connaître ses raisons !

Bon, allez-y, si ça vous amuse. »

Philopé entra dans la salle où se trouvait Méric :

« Ah ! Voilà ! Voilà le grand, le magnifique Philopé Tarmis, échantillon parfait de ce que l’Empire fait de mieux ! Un bon toutou à son Empereur !

Méric ! Je viens ici pour comprendre. A l’école de police il n’y avait pas un jour où tu n’étais pas cité. Toi « le » commissaire Lefatte, toi, tu fais partie de la résistance ?

Oui ! Moi le commissaire Lefatte je fais partie de la résistance et sache que ça a toujours été le cas ou presque. Cet empire, ce bel empire devrais-je dire, n’a de constitutionnel que le nom.

Mais comment ça ? L’Empire est bon, il suffit de respecter les règles imposées par la loi impériale.

Oui, mais à la moindre transgression, tu es bon pour la prison, pas de tolérance, et si jamais tu recommences, c’est Pluton qui t’attend ! Ma famille en a fait les frais. Lorsque j’étais gosse, mon père, qui était pourtant un homme d’une droiture extrême, aimant l’Empire pour sa bonté, comme il le disait, a été une des victimes de cette dictature. Nous allions à toutes les cérémonies où le régime était célébré, mon père travaillait au service de l’Empereur Oris IV et un jour il a trébuché et a fait tomber un des services en porcelaine impériaux, celui que l’Empereur avait reçu de ses parents, il était très énervé. Mon père a été jugé et condamné à la réclusion plutonienne ! Lui ! Un homme n’ayant jamais fauté. Seulement voilà, il avait vexé sa sainteté. Le jour de son transfert, dans les cellules de transition, il a été tué par un autre détenu. Depuis ce jour-là je me suis promis de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour faire tomber ce régime soi-disant parfait.

Mais te rends-tu compte ? Te rends-tu seulement compte de ce que tu as fait aujourd’hui ?

Tu as tué trois hommes et blessé un quatrième. Tu as voulu faire accuser un des plus importants homme de la garde impériale et corrompu un sénateur !

Ce serait à refaire, je le referais, avec quelques petites erreurs en moins. »

Philopé n’en revenait pas, sa star était un résistant, la pire des choses que l’Empire puisse connaître. Le jeune inspecteur avait plus de mépris pour les résistants que pour les rats d’égout. Philopé se leva et sortit de la pièce. Bien que bouleversé par ce qu’il venait d’apprendre, et l’injustice dont avait été victime le père de Méric, il ne pouvait pas se résoudre à suivre le commissaire dans ses idées. Le jugement aurait lieu trois jours plus tard. C’était un record, il arrivait que les jugements aient lieu six mois voire un an après les faits ; le crime commis cette fois-ci rendait l’affaire plus importante que les autres. Philopé décida de laisser à son triste sort son ex-coéquipier.

Trois jours plus tard.

L’heure du procès approchait. Philopé n’avait pas arrêté de se répéter les derniers mots du commissaire. Ce fut plus fort que lui, il prit sa plaquette et regarda : condamnation sous Oris IV ; nom : Lefatte. Un seul dossier apparut : Johnagoule Lefatte, réclusion plutonienne pour atteinte directe à Sa Sainteté l’Empereur ; mort avant son enfermement. Aucune enquête, juste ces quelques mots : « Destruction volontaire de biens de la famille impériale ». Philopé rangea sa plaquette et partit vers le palais de justice où contre toute attente il n’était pas cité à comparaître. Il voulait cependant suivre ce procès. Les abords du palais de justice étaient noirs de monde, aucun jugement n’avait fait déplacer autant de personnes, si bien que le gouvernement avait fait placer un écran géant sur le mur nord du palais de justice et retransmettait ce procès sur la chaîne nationale, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Les trois prisonniers arrivaient dans la pogarde des services pénitenciaires, les agents la conduisant, avaient trouvé plus adéquat de la faire rouler plutôt que voler. Tous les spectateurs présents lançaient des pierres sur le véhicule, huant et insultant les trois meurtriers. Arrivée face au palais de justice, la pogarde était cabossée de partout à la suite des coups qu’elle avait reçus. Philopé se fraya un chemin jusqu’au poste de garde où il montra sa plaque à l’agent en place pour passer par « l’entrée des artistes ». Dans la salle d’audience, il devait y avoir trois fois plus de personnes que cette pièce n’était censée en recevoir, il y faisait donc une chaleur écrasante et même la climatisation ne suffisait pas à rafraîchir l’air. Tout le monde discutait et cela faisait un brouhaha terrible. La porte d’accès du juge s’ouvrit et le silence se fut. C’était le juge Pleyel qui traitait l’affaire, un des pires du système. Il devait avoir soixante ou soixante-dix ans. Sous sa robe on pouvait deviner un ventre énorme, il n’était pas très grand et n’avait presque plus de cheveux. Il prit place avec ses assesseurs avant de prendre la parole :

« Mesdames Messieurs, aujourd’hui 8 octobre 2450 nous allons juger l’affaire Lefatte 8172136, concernant l’assassinat de l’Empereur Méros II, survenu le 4 octobre 2450, je vous rappelle que les usages sont encore levés et que toute contrevenance à cela sera sévèrement réprimandée. Les accusés sont monsieur Iriz Ziétrick, né le 10 mai 2377 à Viralé sur Vénus ainsi que Jason et Méric Lefatte nés le : 12 septembre 2395 à Bordeaux sur Terre. Je récapitule les faits : Le 4 octobre 2450 aux alentours de seize heures, l’accusé, Méric Lefatte a assassiné l’Empereur, avec la complicité des deux autres accusés Iriz Ziétrick et Jason Lefatte. Assassinat élaboré depuis longtemps selon les conclusions de l’enquête. J’appelle Méric Lefatte à la barre.

Méric se leva, il était escorté. Il prit place et le juge reprit :

« – Monsieur Méric Lefatte, avez-vous effectivement organisé l’assassinat de l’Empereur ?

Monsieur le juge, je tiens à faire signaler aux personnes présentes que l’intitulé du jugement est l’assassinat de l’Empereur et nullement les morts de Micha et du policier que j’ai tué le même jour.

Monsieur Lefatte répondez aux questions que l’on vous pose plutôt que d’en inventer de nouvelles ! Avez-vous assassiné l’Empereur.

Oui ! J’ai assassiné l’Empereur et j’ai aussi abattu deux hommes, deux fervent serviteurs de l’Empire, et ça tout le monde s’en fout !

Vous reconnaissez donc avoir assassiné Méros II, depuis quand l’aviez-vous prévu ?

Depuis que mon père Johnagoule Lefatte fut condamné par votre système, votre parfait petit système intolérant et autoritaire.

Donc, reprit le juge, cela faisait quarante ans que vous prévoyiez de tuer l’Empereur ?

Cela fait quarante ans que je hais cet empire, cela fait quarante ans que je me force à apprendre vos usages, votre système. Je les ai si bien appris qu’il y a encore une semaine on me prenait pour le parfait petit toutou à son Empereur. Quelle facilité j’ai eue à gravir les échelons dans la police tant il est simple de plaire au système, ce système vous formatant l’esprit, vous disant quoi manger et quoi dire. Il suffit de regarder les personnes ici présentes pour s’en convaincre, toutes là pour regarder un homme vivre ses derniers jours sur terre avant d’être envoyé sur un caillou de l’autre côté du système solaire.

J’en conclus donc que vous avez bel et bien tué l’Empereur et que vous le revendiquez au nom de la résistance. Garde, ramenez-le à sa place. J’appelle Jason Lefatte à la barre. »

Jason était enchaîné, il avait une très grosse cicatrice sur le visage, c’était la procédure pour les truands ayant un frère jumeau, l’un des deux était violemment balafré pour ne pas les confondre.

Une fois assis, le juge dit :

« Monsieur Jason Lefatte, avez-vous participé à l’assassinat de l’Empereur Méros II et si oui quel a été votre rôle.

Monsieur le juge, je fais de nouveau remarquer à la cour et aux gens ici présents qu’il n’est nullement fait mention des autres victimes de ce complot ; ils sont pourtant autant morts que l’Empereur l’est.

Oui et bien je me permets de vous faire remarquer également, comme à votre frère, que je vous demande de répondre à la question que je vous pose plutôt que d’inventer d’autres !

Avez-vous participé à cet assassinat et si oui de quelle manière ?

Oui j’y ai participé, je devais donner le change. Avant que vous me balafriez je ressemblais trait pour trait à mon frère. Je devais me faire passer pour lui lors du convoi pendant qu’il mettait en œuvre notre plan, il est beaucoup plus doué que moi avec les armes, il a donc été décidé que ce serait lui le tireur. Il y a un peu plus d’un an que nous nous sommes retrouvés. Je savais depuis longtemps que j’étais son frère jumeau, il ne se passait pas une semaine sans voir sa tête dans les journaux, nous étions nés le même jour et je savais que ma mère m’avait abandonné. Dès qu’il a commencé à devenir célèbre, je me suis laissé pousser la barbe, je ne voulais pas qu’on m’associe à lui. Lorsqu’on s’est retrouvés, il venait en mission sur Mars pour élucider un meurtre perpétré par la résistance. Je ne savais pas que c’en était lui-même un membre très actif, je pensais comme la plupart d’entre nous que c’était le parfait produit de l’Empire. Lorsque j’ai découvert la vérité sur lui, j’ai tout fait pour m’en rapprocher. Ça n’a pas été facile, mais une fois mis en contact, nous nous sommes mis en tête de mettre en place ce complot.

Où sont les points de ralliement de la résistance ? demanda le juge.

J’espère que vous rigolez. Croyez-vous un seul instant que la résistance soit assez bête pour se réunir à des points fixes ! Dès qu’il y eut la nouvelle de notre arrestation, le journal  « l’Officiel » a mystérieusement fermé. C’était par le biais de celui-ci que nous communiquions par message codés. Un journal pro-Empire, relatant avec panache les nouvelles impériales, histoire que vous ne vous doutiez de rien, que vous ne fassiez pas d’enquête sur lui et pourtant, vous auriez dû. Vérifiez mes dires si vous le souhaitez, aucun des dirigeants de ce journal n’existe, ni aucun des employés, ils sont tous fictifs.

Admettons que vous disiez juste ! Il fallait bien que vous vous réunissiez pour mettre au point vos plans ! Où était-ce ?

Jamais au même endroit, c’était la règle. Pour se retrouver il fallait que le lieu de réunion n’ait pas servi durant les cinq dernières années.

Comment décidiez-vous donc des endroits où vous vous réunissiez ! répondit le juge agacé

Ce n’était pas moi qui décidais, mais les chefs et je ne connais pas leurs critères ! Sommes-nous ici pour parler du meurtre de l’Empereur ou alors de la résistance ?

AH ÇA SUFFIT ! dit le juge en hurlant. Vous n’êtes pas ici pour poser des questions mais pour y répondre et je suis le seul habilité à vous les poser !

Même sous le troisième Reich monsieur, les accusés avaient droit à un avocat, répondit Jason, alors qu’ici…

Alors qu’ici un avocat monsieur Lefatte, c’est un fruit, dit le juge après avoir coupé la parole à Jason. Laissez les avocats du troisième Reich, de la cinquième République et de toutes les autres époques à leur place, c’est-à-dire dans les livres d’histoire. Au sein de l’Empire constitutionnel, seuls les juges impériaux ont le droit de poser des questions, si cela venait à changer, nous vous tiendrions au courant. Qui est à la tête de la résistance ?

Nous ne connaissons pas les dirigeants, ils ne veulent pas se faire prendre. Quand nous les voyions ils étaient cagoulés, Méric était un de ceux-là, mais même lui, hormis son binôme, il ne connaît pas les visages des autres chefs. C’est une autre règle, les chefs ne montrent pas leur visage. Quant au grand chef, celui qui chapeaute tout, on ne le voit quasiment jamais.

En tout cas je vois que la confiance règne au sein de la résistance, répondit le juge. Trois résistants importants arrêtés et votre principal moyen de communication fermé, il faut dire que visiblement, ils ont peur des traîtres !

Non monsieur le juge, pas des traîtres, mais du détecteur cérébral. Ils savent bien comment ça marche, à quoi ça sert et surtout comment ressortent les gens ayant subi ce châtiment. Cependant, la résistance vous remercie !

Me remercie ! Et pourquoi s’il vous plaît ?

Pas vous monsieur le juge, le système ! Le journal était si populaire dans vos services que quasiment tous les magistrats, les sénateurs, les bourgmestres, y étaient abonnés! Merci de nous avoir financés ! Merci encore.

Vous aimez nous provoquer, vous savez bien que vous ne risquez pas votre tête ! Sous le troisième Reich, il y avait peut-être des avocats, mais il y avait aussi des chambres à gaz. Enfin, je ne vous apprends rien. Vous ne connaissez pas les chefs mais connaissez-vous des simples membres de la résistance ?

Oui bien entendu. Mais je ne vous serai pas d’une grande utilité, on s’appelait par des surnoms et jamais par nos noms, je ne pourrais donc pas vous dire qui fait partie de la résistance, sauf si vous me montrez quelqu’un.

Seriez-vous prêt à collaborer avec nous pour débusquer des résistants ?

Plutôt mourir !

Vous n’aurez pas cette chance monsieur Lefatte. Garde, ramenez-le! J’appelle Mathéo Balzi »

Mathéo ne faisait pas partie des accusés, il vint donc à la barre sans l’escorte de la police.

« Monsieur Balzi, demanda le juge, pouvez-vous me dire comment s’est déroulée la journée du 4 octobre ?

Bien entendu. Tout avait bien commencé. Dans la matinée Méric était venu me présenter son nouvel équipier, il m’avait également expliqué son plan pour la cérémonie. Je trouvais que les snipers étaient de trop, mais après tout, c’était Méric Lefatte, il avait sûrement raison ! Par la suite, je me suis rendu près de l’Empereur et quelques dizaines de minutes avant le départ, Méric… enfin Jason et Philopé m’ont rejoint. Je devais voir le sénateur Ziétrick, je suis donc parti quelques instant avant le départ de l’Empereur. Lorsque je suis arrivé, le sénateur m’attendait, il m’a de suite mis à l’écart, sur le coup, je ne me suis pas méfié. Il me parlait de nombreux problèmes de sécurité dans sa circonscription, puis aussi de gros débordements qui visaient directement l’Empereur et il a soudainement tourné de l’œil. J’ai tenté de l’aider, je l’ai fait s’asseoir, il ne voulait pas des secours, il disait que ça irait mieux d’ici quelques minutes. Dans les pièces voisines il y avait du chahut, je ne savais pas pourquoi, Ziétrick ne voulait pas que je le laisse, mais finalement au bout de deux ou trois minutes je suis sorti. J’ai regardé tout autour de moi et c’était la panique totale. J’ai demandé ce qui se passait et là quelqu’un m’a hurlé « L’EMPEREUR EST MORT, IL A ÉTÉ TUÉ ». Bien entendu j’ai de suite regardé par la fenêtre, j’ai de suite vu la pogarde impériale, j’y suis allé au pas de course et j’ai demandé à Philopé et à Méric, ce qu’il s’était passé. Je vous passe les détails. Il manquait une pièce importante dans le dossier, le scan de l’immeuble d’où le tireur s’était placé. Méric croyait qu’une taupe l’avait volontairement retiré, pour ma part, je pensais plutôt à un oubli, le commissaire avait beaucoup travaillé et pour lui éviter des problèmes, je me suis permis de refaire un scan de l’immeuble en l’antidatant et avec ses identifiants . J’ai vu alors qu’il restait un homme dans le bâtiment, ce n’était pas un des membres de l’équipe du lieutenant Sivelle. Avec quelques hommes je suis donc parti voir ; dans cette opération Perdo Milla a été blessé et Oire Lamanta tué. Nous avons réussi à débusquer l’homme qui était caché, quelle stupeur ai-je eue lorsque j’ai vu qu’il s’agissait de Méric. Je l’ai arrêté et emmené au commissariat où Piarre Moiso nous attendait. Le commissaire Lefatte refusait de parler, je l’ai donc menacé d’utiliser contre lui le détecteur cérébral, et il nous a alors tout expliqué : son frère jumeau, le complot etc.

Bien monsieur Balzi. J’entends bien vos arguments. Il y a cependant deux choses qui me gênent dans votre témoignage. Les lois 2317/74 et 2299/45 qui réglementent l’utilisation du scan et du détecteur cérébral. Je vous en fais lecture mot à mot, ce qui me forcera à utiliser les usages, levés actuellement. : Loi 2299/45 du 17 octobre 2299 réglementant l’utilisation du détecteur cérébral. Le détecteur cérébral ne pourra servir que pour des raisons de sécurité nationale et de par ce fait nécessitera l’autorisation écrite de l’Empereur « qu’il vive une vie longue et heureuse », excepté lors de la période de transition de pouvoir, où il sera nécessaire pour son utilisation de recevoir l’autorisation écrite d’au moins cinq sénateurs. Loi 2317/74 du 11 novembre 2317 réglementant l’utilisation du scan, pour son utilisation et les autorisations nécessaires à son usage se référer à la loi 2299/45. Monsieur Balzi, outre le fait d’avoir antidaté et usurpé l’identité du commissaire Lefatte pour effectuer votre scan, vous avez enfreint la loi en utilisant sans aucune autorisation deux machines qui en nécessitaient une, et pas des moindres. Sachez que pour ces transgressions, vous serez jugé ultérieurement.

Monsieur le juge, dit alors Mathéo Balzi, je reconnais avoir fauté, mais si je n’avais pas fait cela, jamais le tueur n’aurait été pris et le commissaire Lefatte serait encore en place. Quant au détecteur cérébral, je ne l’ai pas utilisé, je m’en suis servi comme d’un moyen de pression.

Je prends bonne note de vos deux remarques. Sachez monsieur que nous devons être d’une droiture exemplaire ! Il y a des lois et quand des gens occupent des postes aussi importants que le vôtre, ils se doivent de les respecter à lettre. Je vous laisse en liberté pour le moment, vous recevrez une convocation pour venir vous expliquer sur les faits que j’ai mentionnés.

Gardes ! Emmenez-moi Iriz Ziétrick »

C’est enchaîné que l’ex-sénateur arriva à la barre. Il avait le visage tuméfié et les conjonctives pleines de sang. Il était à l’origine de plusieurs lois visant à rendre plus contraignant le travail de la police.

Lors de sa garde à vue, les policiers s’étaient visiblement vengés de toutes ces heures de travail supplémentaires dont Ziétrick était le responsable. Le juge dit alors :

«Sénateur… Euh pardonnez-moi ! Monsieur Ziétrick, avez-vous participé à ce complot et si oui quel était votre rôle ?

Oui ! J’ai participé à ce complot, et à d’autres. Gosse déjà je ne supportais pas votre système.  C’est à l’âge de douze ans que j’ai décidé de me lancer dans la résistance, après l’arrestation de Zohure Menssion ! Arrestation totalement arbitraire et…

Monsieur Ziétrick, vous aurez tout loisir de repenser à cette affaire quand j’aurais terminé de vous questionner. Quel a été votre rôle ?

Mon rôle! Faire diversion. Le but de la manœuvre était de faire destituer Balzi. Il devait être accusé du meurtre. C’est Méric qui devait résoudre cette enquête et le fait de retrouver l’assassin de l’Empereur l’aurait rendu si populaire, qu’il aurait pu proposer sa candidature au poste de gardien impérial ; nul doute qu’il aurait été choisi. Je devais donc m’isoler avec Mathéo pour que personne ne puisse témoigner de sa présence à la cérémonie.

Je croyais, selon les arguments avancés par Jason Lefatte que les chefs de la résistance ne se connaissaient pas ! Comment pouviez-vous travailler de concert avec le commissaire?

Nous avons tous un binôme, le mien c’est Méric Lefatte. Lors de nos réunions, chaque binôme se voit attribuer une mission à accomplir, on leur donne une équipe, elle peut être composée d’une ou de plusieurs personnes, selon les besoin du travail à faire. Pour notre mission, il ne nous fallait que Jason.

Très bien. Je pense avoir assez d’éléments pour le moment. La séance est levée »

Le juge et les assesseurs se levèrent pendant que Ziétrick était ramené dans le box. Comme prévu, la première partie de ce jugement avait été expéditive mais les trois accusés étaient tout de même contents, certaines choses avaient pu être dénoncées devant plusieurs milliards de personnes, qu’elles soient dans la salle ou devant un écran. Bien que tout le monde sût que le système était autoritaire, beaucoup s’en contentaient, car respecter certaines règles stupides permettait de passer une existence agréable. Les spectateurs du jugement partaient de la salle qui se vidait petit à petit, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une seule personne : Philopé. Il se leva de sa chaise et se dirigea vers Méric.

« Méric !

Philopé ! Que veux-tu encore ?

Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder le dossier de ton père. Effectivement, il a été arrêté sans réel motif ou du moins, la peine à laquelle il a été condamné était excessive !

Et alors ? Ça va changer quoi que tu sois d’accord ?

Rien répondit Philopé. Je voulais juste te dire que ce jugement est une occasion pour vous et la résistance de faire connaître aux citoyens de l’Empire certaines vérités que certains ne connaissaient pas.

Que dalle ! Arrête de me prendre pour un mouton ! De Mercure à Pluton, surtout à Pluton d’ailleurs, les gens savent que ce régime est tyrannique ! Tu crois que ce régime est mieux que l’ancien… Écoute-moi bien. Après la grande dépression du vingt-et-unième siècle, lorsque enfin une entente entre les pays de l’époque avait pu se faire. Entente qui devait tout changer ; elle n’a rien changé, mais tout transformé. Il y eut d’abord l’abolition symbolique de le peine de mort, ou encore ce semblant de gouvernement généralisé, renversant les anciens tyrans, une sorte d’ONU du vingt-deuxième siècle, créée pour le bien de la population ! Mon cul oui, c’était le berceau de notre bel Empire. Comme en 1917 avec les Bolcheviques, où les hommes étaient dirigés d’une main de fer par le Tsar. Lui aussi a été remplacé, remplacé par d’autres dirigeants soi-disant proches du peuple mais finalement tout aussi tyranniques que les Romanov, voire un peu plus… Quelques mesures symboliques avaient été prises ! Mais les Russes ont encore longtemps souffert. Eh bien pour nous ça a été pareil. Lorsque notre Empire a été créé, L’étrangleuse avait tellement servi durant la révolution de 2085, elle faisait si peur que le simple fait d’abolir la peine de mort donnait une aura toute particulière au système naissant. Mais l’étrangleuse avait un avantage, elle faisait un peu souffrir, mais en quelques minutes c’en était fini ! Sur Pluton c’est l’esclavage à vie !

Mais reprit Philopé, quelle est cette histoire de journal et de code à décrypter ?

On se servait de l’officiel pour communiquer, on avait tous un code, ils étaient indéchiffrables, essaye de les décrypter si le coeur t’en dit. »

La discussion s’arrêta là, un des gardes impériaux venait chercher les prisonniers pour les ramener en cellule. Ce jugement avait fait réfléchir Philopé. Une semaine plus tôt il se croyait dans le plus beau des mondes, le meilleur des systèmes, il venait de s’apercevoir que ce n’était pas vraiment le cas. A la télé et sur toute la presse, qui n’était plus que numérique, on ne parlait que de ce jugement :

« Information spéciale chaîne nationale : Le jugement du grand commissaire Lefatte et du sénateur Ziétrick est en cours. C’est une première, il est retransmis en direct sur notre chaîne. Les accusés se sont expliqués sur leurs motivations mais cela reste encore très flou. Selon le frère du commissaire, le journal « l’Officiel » très récemment fermé servait de moyen de communication à la résistance. Preuve en est, si c’est vrai, que le nom peut être pimpant et contenu décevant. Nous rendons l’antenne et reviendrons vers vous pour débattre des sujets abordés dans ce jugements avec des spécialistes. »

Les trois hommes étaient enfermés dans une cellule de quelques mètres carrés, le peu de lumière qu’il y avait dans cette pièce venait d’une minuscule fenêtre. Méric fut le premier à parler :

« Jason ! Je sais que l’officiel est fermé ! Mais putain pourquoi t’as ouvert ta gueule ! Ils vont tout faire pour tenter de décrypter le code !

Le code ! Les codes, personne n’avait le même. Tu sais très bien que s’ils les veulent, ils les auront, le détecteur cérébral peut aller chercher des souvenirs de ta plus tendre enfance !

Raison de plus ! Est-ce que tu te rends compte ? Le grand chef va devoir tout retravailler. Ce code que la résistance a mis des années à créer ! Même si chacun avait le sien, il y avait une base ! La fermeture de l’officiel était passée quasiment inaperçue.

Bon, j’ai merdé c’est vrai ! Mais le juge Pleyel, je peux pas le sentir, répondit Jason. Son air arrogant, il fallait que je lui ferme sa gueule !

Bon répondit Ziétrick, le problème n’est pas là ! Oui t’as pas assuré Jason, mais c’est fait c’est fait ! Il ne faut pas se leurrer, on est écoutés. Je crois que ce jugement est la meilleure des tribunes pour que nous puissions dénoncer ce système. Le juge Pleyel a sans le savoir travaillé pour nous, car le jugement est retransmis en direct et nul doute que même les manœuvres sur Mercure ont eu leur journée pour pouvoir le regarder ; vingt milliards de téléspectateurs potentiels ! Le gouvernement a mal négocié ce virage en accédant à la requête du juge, lui qui voulait faire un exemple en nous filmant, qui voulait nous ridiculiser, je crois que c’est loupé. Oui Jason a merdé en balançant l’officiel, mais, il a montré à tous les citoyens de l’Empire, que le gouvernement pouvait se faire berner et ça ce n’est pas rien ! On a aussi pu dénoncer certaines injustices. Zohure Menssion est vu aux yeux du monde comme un paria, un illuminé, il faut que poursuivions dans nos dénonciations ! Aucun doute sur l’endroit où finirons nos jours, mais nous n’aurons pas agi en vain ! Cette petite merde de Méros II n’est plus et nous avons toutes les oreilles de l’Empire attentives à la moindre de nos paroles. »

La discussion s’arrêta là, un garde venait d’entrer dans la cellule.

« Debout ! Le juge veut vous voir ! Grouillez-vous ! »

Les hommes se levèrent et suivirent le garde dans les dédales de la prison de la capitale. Il se retourna et dit :

« Je suis là pour vous sortir d’ici ! Venez !

T’es qui ? demanda Méric.

Je suis de la résistance.

Ton mot de passe ? Ton numéro de mission ? »

La discussion n’alla pas plus loin, les quatre personnes entendirent la voix du juge au loin :

« Gardes ! Gardes ! Les prisonniers s’évadent vite ! »

Aucun doute, comme le pensait Ziétrick, des micros étaient dissimulés dans la cellule et le juge les écoutait lorsque le garde était venu les chercher.

« Vous me croyez maintenant ? dit alors le jeune homme venu chercher les trois prisonniers.

Bon, on te suit, dit alors Méric »

Le faux garde poussa une des pierres de la prison et une porte dissimulée s’ouvrit. Les quatre hommes passèrent quelques dizaines de minutes à marcher dans un couloir très noir, le faux garde avait avec lui une lampe torche très puissante qui leur permettait de se déplacer. A la fin de cette marche, une lumière apparut. Les évadés avaient dû faire deux ou trois kilomètres. Ils sortirent alors et se trouvèrent sur une petite plaine, Méric la connaissait bien, c’était la sortie d’une ancienne usine à la frontière de Vichy. Méric, qui pourtant connaissait très bien cette prison n’avait jamais entendu parler de ce passage. Il demanda à l’homme venu les chercher :

« Dis-moi, comment t’as fait pour berner les gardes ?

On a tout prévu, j’ai un faux document du juge.

Montre-le-moi ! »

Le faux garde lui tendit le papier en question. Méric le regarda puis dit :

« C’est pas la signature de Pleyel ça ! Je la connais bien, c’est celle de Lamorta ! Philippé Lamorta.

Donne-moi ton mot de passe et ton numéro de mission !

Oh on se calme ! Je vous ai sortis de là ou pas ?

J’ai pas confiance ! »

Méric se retourna et lança un uppercut au faux garde qui tomba à terre. Ziétrick le ramassa, le plaqua au sol et dit à son tour :

« Le monsieur te demande ton mot de passe et ton numéro de mission, t’es sourd ?

Je sais pas de quoi vous parlez ! Laissez-moi !

T’es résistant et tu sais pas ce que c’est qu’un mot de passe et un numéro de mission ! lui dit alors Ziétrick. Qui t’envoie ?

Je sais pas ! Je sais pas ! Laissez-moi ! Mais laissez-moi !

Ecoute-moi bien p’tite putain ! lui dit Méric. Ton Empire laisse peut-être la vie sauve à tout le monde, mais moi j’hésiterai pas à te buter à coups de pierre dans ta gueule ! »

Méric saisit un très gros caillou non loin de lui, il devait faire trois ou quatre kilos. Il posa la main de l’homme venu les chercher par terre en demandant à Ziétrick de bien le tenir et lui écrasa les doigts.

Le garde se mit à hurler ; Ziétrick lui mit la main sur la bouche. Méric dit alors :

« Là c’était la main, la prochaine fois c’est sur la citrouille qui te sert de caboche. Qui t’envoie !

C’est Lamorta ! Le Bourgmestre de Vichy !

Pourquoi ?

Il ne veut plus que le jugement continue, vous dénoncez trop de choses, à la mairie les débats commencent et certains sont de votre côté. C’est pareil un peu partout, il a eu des nouvelles de l’hôtel Marisse II sur Vénus, les employés se révoltent. Pareil sur Mercure, les manœuvres menacent de faire grève. Lamorta veut stopper ça au plus vite alors que le juge Pleyel lui tient à ce que le jugement continue comme ça… »

On bouge plus ! Dit une voix inconnue. »

Des gardes arrivèrent et entourèrent les prisonniers. Le trio leva les mains. L’homme à terre avait les doigts cassés. Les trois prisonniers eurent des menottes passées aux poignets et furent ramenés dans leur cellule. Bien que de nouveau emprisonnés, le moral des trois hommes était au beau fixe ; ils attendaient avec impatience la deuxième partie de leur jugement. Ce n’est que le lendemain qu’on vint les chercher, il était neuf heures. L’accueil du public aux abords du palais de justice était très différent de celui fait la veille, les gens n’osaient pas directement applaudir, mais les trois prisonniers sentaient bien que l’opinion était de leur côté. Méric hurla alors :

« Réveillez-vous ! N’ayez plus peur ! »

Un des gardes prit son bâton électrique et électrisa Méric. Certaines personnes dans la foule commencèrent à hurler au scandale. Quelques secondes après, d’autres se mirent à crier :

« Laissez-les parler ! Ils ont le droit de parler »

Les gens présents dans la foule tentèrent de bloquer la pogarde, qui s’envola jusqu’au palais de justice où les trois prisonniers étaient attendus. A l’extérieur il y avait une émeute, de la fenêtre de la salle d’audience on pouvait la voir. Plusieurs centaines de policiers arrivèrent alors arme à la main aux abords du palais de justice et commencèrent à mater cette rébellion. Il ne fallut que quelques minutes à ces agents de police pour que les spectateurs soient dispersés. Sur le parvis qui avait été évacué, sur cette place où quelques instants plutôt il y avait des milliers de personnes, il ne restait que les quelques cadavres des citoyens de l’Empire, les malchanceux qui n’avaient pas pu fuir. C’était la première fois qu’une émeute éclatait. Il y avait déjà eu des actions de la résistance de différentes ampleurs, mais jamais depuis la création de l’Empire, des citoyens ne s’étaient rebellés ; le juge Pleyel devait intervenir. Par mesure de prudence, la salle aussi avait été vidée, mais les caméras vidéo diffuseraient tout de même le jugement sur la chaîne nationale. Comme la veille, le juge et les assesseurs prirent place, le juge dit alors :

« Messieurs ! A la suite des émeutes qui ont éclaté récemment et cela à cause de ce jugement, je me vois dans l’obligation de faire appliquer l’ordonnance 2209/99 du 2 février 2209 dont je vous fais la lecture mot à mot :

Si pour des raisons de sécurité nationale, le juge chargé d’une affaire en cours estime qu’il est imprudent de commencer ou de continuer le jugement de cette dite affaire, il pourra donner un jugement provisoire, le temps que la sécurité nationale ne soit plus en jeu. 

De par l’application de cette ordonnance, je déclare provisoirement les trois accusés coupables des faits qui leurs sont reprochés et demande la réclusion plutonienne. Dès que la sécurité nationale ne sera plus en jeu, vous serez rapatriés sur Terre pour finir le jugement. »

Le juge et les assesseurs se levèrent, les gardes se saisirent des trois prisonniers pour les emmener dans les cellules de transition.

FIN DE L’EPISODE PILOTE.

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